CHAMBRE DOUBLE #5 KOSTIA

§1. «Monter La Mouette de Tchékhov» revient à entrer dans un cercle, puisqu’il s’agit de créer un objet qui parle de la création en adoptant le point de vue du créateur. Le motif en est éminemment actuel. L’homme créateur n’est-il pas la figure par excellence de l’homme occidental accompli de ce début du 21e siècle ?

§2. Les œuvres d’art ont l’avantage de ne pas mourir, dès lors qu’elles deviennent des archives. Tout le problème pour un artiste actuel consiste donc à faire entrer son œuvre dans les collections des institutions muséales. Une telle démarche lui confère richesse (les œuvres prennent de la valeur), célébrité et … une certaine forme d’éternité – les musées sont conçus pour durer. L’oeuvre d’art donne un pouvoir inouï, le pouvoir de mourir sans disparaître, le pouvoir de se hisser au niveau des morts devenus inoubliables tant leur célébration est régulière et entretenue. Mais, pour atteindre l’Olympe, il faut pouvoir dialoguer avec ses occupants, les vaincre ou se faire reconnaître par eux. Dans la société du spectacle – on se reportera à Guy Debord, ce désir passe par la construction d’une image-de-soi qui doit être suffisamment forte pour être vue des cimes. Il y a peut-être là le sens ultime d’une civilisation qui a donné naissance à l’individu et à sa maladie chronique : le narcissisme.

§3. Les maîtres mots de la création sont le projet qui la définit et le succès qui la fait passer à l’existence. Avoir du succès ou avoir une image dans la société des images est une seule et même chose. Son antithèse : l’échec. Mais ne nous y trompons pas : l’échec ne réside pas dans la forme, ni même dans l’idée – tout est montrable, tout est exposable, tout est représentable, jusqu’à l’ennui, jusqu’au dégoût, jusqu’à l’abject. Échouer consiste plutôt à dépasser la logique de l’image-de-soi qui nourrit celle du projet. Toute la difficulté, c’est donc, pour celui qui aspire aux formes nouvelles, à réussir dans l’échec. Kostia est la figure de ce pari.

§4. Kostia est une pièce où Kostia, un artiste, est incarné par un acteur qui est aussi un artiste contemporain, qui est aussi le metteur en scène de Kostia. Kostia est un vidéaste. L’acteur ou le metteur en scène l’est aussi. Nouveau cercle. Le propre du cercle est d’avoir ni commencement ni fin. Cela vaut aussi pour la mise en scène qui ne sera jamais achevée, en d’autres termes, qui sera renouvelée à chaque représentation. L’apparition aléatoire des images – photos, vidéos, souvent associée à des compositions ou des improvisations musicales, permet à l’acteur / metteur en scène de dégager de nouvelles propositions scéniques, nouvelles propositions qui expriment la création en train de se faire.

Distribution
Texte original : Emmanuel Guez d’après La Mouette de Tchekhov
Mise en scène/images: Vincent Roumagnac
Dramaturgie : Emmanuel Guez
Avec Muriel Coadou, Nathalie Ortega, Gilles Chabrier, Denis Lejeune, Sophie Rodrigues, Arnaud Bichon et Vincent Roumagnac
Lumières : Richard Gratas
Scénographie : Vincent Roumagnac/Audrey Gonod
Musiques Live : Vale Poher / Anahit Simonian
Costumes : BeKanz (Berlin) / Bettina Kanz assistée d’Amandine Carmeille
CHAMBRE DOUBLE #5 Kostia a été créé au Théâtre de la Croix Rousse à Lyon, à La Ricamarie Scène Régionale et au Théâtre de Vénissieux en 2007